COOPERATION OU COMPETITION ?
COOPERATION ou COMPETITION
Régulièrement je m'interroge sur ce qui signifie "être à gauche", je veux dire au delà de partager ou de se reconnaître dans la pensée des théoriciens historiques et actuels des grandes familles à gauche - par ordre alphabétique : l'anarchie, le communisme et le socialisme - ce qui n'est déjà pas évident puisque ces familles sont entre elles nettement plus fratricides qu’œcuméniques et de plus chaque famille est constituée de branches, tendances ou courants eux-mêmes rivaux. Et si l'on précise encore ce tableau en ajoutant qu'au sein de chaque famille comme de chaque branche, tendance, courant ou sous-groupe quel qu'il soit, les ambitions, les sympathies et les antipathies personnelles prédominent pour la conquête ou la conservation du pouvoir de représentation de chaque ensemble, au total l'énergie à gauche se disperse plus dans la compétition interne qu'elle ne se concentre pour coopérer à la poursuite et la réalisation des objectifs affichés.
Comme il se doit, les tenants de la compétition tout autant que les cyniques ou les désabusés rétorquent à ce constat :
- qu'il ne peut être que le fait d'une âme naïve ou d'une pensée utopique,
- que la compétition - qui mène à la sélection des meilleurs - est une loi imprescriptible de l'ordre naturel, le moteur de l'évolution,
- que , de toute manière, il n'en va pas autrement ailleurs (qu'à gauche) et que l'on ne connaît pas de forme durable et réussie de coopération humaine,
- etc.
J'accepte ces critiques et, en tout cas, je ne les sous-estime en aucun cas. Je pense seulement qu'il faut faire avec, que le premier de tous les défis est bien là : comment faire avancer la coopération dans un contexte de compétition dominante et sachant que le compétiteur est plus fort que le coopérateur, d'abord parce que le compétiteur ne s'embarrasse d'aucun scrupule - autre que pour la forme lorsque son image vis à vis d'un public en dépend -, ensuite parce que l'intervention d'un compétiteur dans un groupe de coopérateur conduit inévitablement à la démobilisation des coopérateurs et à la désagrégation du groupe coopérant.
On l'aura déjà compris : pour moi, être à gauche c'est, d'abord et avant tout et fondamentalement, être animé par l'esprit de coopération.
Vouloir coopérer avec l'autre, c'est considérer l'autre comme son égal, quelles que soient ses différences. C'est aussi, bien sûr supposer chez l'autre la même volonté de coopérer. Et plus l'objet de la coopération tend à obtenir un résultat précis par une pratique physique et morale (adresse et intelligence) continuellement renouvelée de la part des coopérateurs, et plus l'exigence d'égalité (d'effort consenti par les coopérateurs) conditionne la poursuite de la coopération.
La difficulté et le point faible de la formule de coopération réside principalement dans la confiance mutuelle que doivent se porter les coopérateurs. Confiance dans le fait que l'autre va apporter dans la coopération le même enthousiasme, le même engagement, la même adresse, la même intelligence que soi-même. Or, dans le temps et selon les circonstances, les appréciations réciproques peuvent évoluer, changer. Les faiblesse et les turpitudes humaines sont tout autant humaines que la vertu. Et, au final, il ne peut pas plus exister de coopération sans faille que d'homme parfait.
C'est dire combien le principe de coopération est fragile et vulnérable.
Pourtant, je suis convaincu que c'est de la coopération que dépend la survie, le mieux être, le progrès et l'épanouissement de l'humanité.
Cette affirmation ne procède pas d'un postulat mais de l'enseignement de l'histoire, comme du raisonnement et des sentiments lorsque l'on considère les grands problèmes de l'humanité : l'homme a transformé et continue de transformer la nature, sans pour autant la dominer, sans donc être assuré des conditions de sa propre survie dans la nature transformée - pas plus d'ailleurs qu'il ne peut être assuré des conditions de la survie de l'espèce dans l'évolution naturelle -. Il n'y a pas de doute que l'homme considère la nature à la fois comme son amie (pour se nourrir, se protéger, se soigner, son agrément,…) et comme son ennemie (menaces et concurrences animales et végétales, voire minérales, irrégularités climatiques et violence des intempéries, cataclysmes,…). Il a donc tendance à exploiter, discipliner et parfois sur-exploiter les ressources "amies", à lutter contre, détruire ou limiter les espèces, les éléments et les facteurs ennemis ou reconnus tels, et à inventer et créer, ajoutant du réel au réel, pour transformer la nature de manière à ce qu'elle lui soit en définitive, plus amie qu'ennemie. Sans toujours mesurer les risques que ces transformations (qui vont s'accélérant sous l'impulsion de groupes technologiques puissamment organisés et animés par l'esprit de compétition, c'est-à-dire engagés entre eux dans une lutte de domination) font courir à terme à la survie de l'espèce. Les questions posées actuellement sont celles de l'épuisement de ressources naturelles, de la disparition d'espèces, de la qualité de l'air et de l'atmosphère, de la quantité et de la qualité de l'eau, des modifications climatiques. Ces questions sont tout à la fois dérisoires et pathétiques :
- dérisoires parce que les forces de la nature et de l'univers restent, sans commune mesure, déterminantes dans la transformation et le bouleversement de l'ordre naturel et universel. L'éruption du Pina Buto, il y a quelques années, a été autrement plus active dans les atteintes à la couche d'ozone que les bombes aérosols, ce qui, bien sûr, ne justifie pas les productions humaines qui menacent la couche d'ozone, et aussi autrement plus phénoménale dans les rejets carboniques que les cheminées de chauffage et industrielles et les pots d'échappement, ce qui, bien entendu, ne peut autoriser à renoncer aux reboisements et à toutes les formes de lutte contre les pollutions;
- pathétiques parce que les envies de vie de l'humanité sont toujours pour le plus grand nombre de se nourrir ou de mieux se nourrir, de se loger ou de mieux se loger, de se soigner ou de mieux se soigner, de se déplacer et de partager sa culture ou de mieux se déplacer et de mieux partager sa culture et d'accéder aux connaissances; parce que, pour ces envies de vie, le modèle de vie et de consommation des pays dits "avancés", modèle planétairement médiatisé, est devenu le modèle de référence; et parce que, pour finir, l'aspiration à vivre et à vivre mieux est bien plus forte pour soi-même et ses enfants que pour la descendance plus lointaine et que, pour l'heure, les désagréments et les nocivités du système de production et d'organisation qui permet le modèle de vie et de consommation des pays "avancés" sont bien moins repoussants, à quelques adaptations culturelles et religieuses près, que les bienfaits qui en sont exposés et donc attendus.
Il est vain de dénoncer globalement la "globalisation" dès lors que cette dernière est porteuse du modèle de vie et de consommation des pays avancés auprès des populations qui y aspirent. Les préoccupations sont bien plus celles des consommateurs des pays avancés qui redoutent d'y perdre quelques avantages que celles des aspirants consommateurs des autres pays. Et je me dois d'avouer, avec regret mais sincérité, que si j'étais certain que les forces de et en compétition qui développent le modèle de production "avancé" (autrement désignées comme le capitalisme) étaient aptes à généraliser (mondialiser) les standards moyens du modèle de vie et de consommation dit "avancé", je n'hésiterais pas une seconde à les soutenir car l'un des tous premiers commandement que je respecte en politique est : "ne jamais jouer avec la misère des autres". Les idées et les pratiques qui contreviennent directement ou indirectement à ce commandement sont non seulement méprisables mais encore stupides : dans un monde où les avancées technologiques dépendent du développement des forces de et en compétition et que les avancées technologiques deviennent enjeu majeur de la compétition, alors il est évident que la misère et la pauvreté constituent la dernière ressource du dernier développement possible.
Cependant les forces de et en compétition ne sont pas plus aptes à généraliser les standards moyens dont bénéficient les populations "avancées" qu'elles ne sont capables d'éliminer la misère et la pauvreté dans les pays "avancés" eux-mêmes.
La dite mondialisation coïncide avec le stade ultime de développement possible du capitalisme.
Rappelons cette autre évidence : l'entreprise, quelle qu'elle soit, ne peut exister que si elle rémunère les hommes et/ou les femmes qu'elle emploie moins que la valeur de ce qu'elle produit et vend. Avec la différence elle doit pouvoir payer les autres moyens qui lui sont nécessaires pour produire (dont d'autres hommes et femmes qui concourent à les produire) et faire des profits - pour investir ou/et rétribuer son capital. Sans profit, une entreprise peut encore survivre et végéter mais si elle perd, elle est irrémédiablement condamnée.
A quelque étape du développement que ce soit, il est clair que la totalité des salaires directs et indirects (rémunérés par les impôts, taxes et autres charges publiques ou collatérales) payés par les entreprises ne suffisent pas à acheter la totalité des marchandises et services produites par ces entreprises -sauf à donner une valeur nulle aux ressources naturelles nécessaires aux processus de production et aussi aux profits-. C'est pourquoi Marx a conclu que le développement capitaliste impliquait la baisse tendancielle du taux de profit. Et pour que le système fonctionne, il est nécessaire qu’il attribue à la demande plus de moyens qu'elle n'en dispose par son salaire pour acheter : le gonflement de la demande s'opère par le crédit et plus globalement par la production monétaire scripturale et officielle (la planche à billets). Cependant, le gonflement de la demande par la création de monnaie n'est pas une facilité illimitée du système : il repose juste sur une anticipation de l'expansion réelle de cette demande, c'est-à-dire que, d'une manière ou d'une autre le crédit consenti doit être récupéré, les ajustements critiques pouvant être économiques et financiers (inflation, crises) ou politiques (accords internationaux dans lesquels les pays "avancés" ont un rôle dominant).
L’humanité toute entière est confrontée à la nécessité de faire apparaître les structures d’un nouveau mode de production qui marche dans le cadre de notre environnement Terre actuel et en devenir.
Seule la coopération peut y réussir. La poursuite de la compétition conduirait inéluctablement à l’extinction ou à la quasi extinction. Ce peut être cependant un objectif pour les plus forts. Alors, la partie n’est pas gagnée pour les coopérateurs, n’est-ce pas ?